Photographier les autres a toujours été une manière d’aller vers eux, de les rencontrer, de les écouter sans toujours avoir besoin de mots. Mon appareil photo est à la fois bouclier et pont. Il me permet de voir sans être vu, de me sentir utile, légitime, présent.
Et puis j’ai ressenti le besoin de retourner mon objectif vers moi. Non pas par narcissisme, ni par goût de la performance, mais parce que quelque chose en moi demandait à être regardé. De l’intérieur. Avec la même bienveillance que celle que je m’efforce d’offrir aux autres.
Cela n’a pas été une décision fulgurante. C’est venu lentement. Par vagues. À force d’entendre les récits de mes modèles. À force d’accompagner des personnes qui, un jour, avaient osé se montrer telles qu’elles sont — avec leurs doutes, leurs blessures, leur beauté. Je les regardais se redresser, se redécouvrir, se réconcilier avec leur corps. Et je me suis dit que mon étique de photographe, ma légitimé, était de moi aussi faire ce chemin.
Je suis pourtant plein de complexes, d’inconforts, de jugements très durs envers mon propre corps. Comme si mon rôle de photographe m’autorisait à ne pas me confronter à ce regard sur moi-même. Comme si j’étais exempté de ce travail-là.
Mais la vérité, c’est que je me fuyais.
Alors j’ai commencé à me photographier. Nu. Sans mise en scène sophistiquée, sans artifice. Juste moi, dans la lumière, dans l’espace, avec mes postures, mes tensions, mes silences. Je ne cherche pas à plaire, encore moins à séduire. Je veux juste comprendre. Accueillir. Me rencontrer. Me voir comme jamais je n’avais pris le temps de me regarder.
Et puis, c’est devenu un rituel. Chaque semaine je crée une image associée à un texte. Parfois le texte m’inspire la photo, parfois l’inverse. Mais ils sont indissociables.
J’ai peu à peu laissé tomber le regard du juge pour adopter celui du témoin. J’ai cessé de vouloir corriger, cacher, contrôler. J’ai appris à voir l’homme que je suis. Entier. Contradictoire. Vivant.
J’ai appris à lâcher prise, à admettre que ce corps, que je l’aime ou pas, allait m’accompagner jusqu’à la fin de mes jours … alors autant que cela soit le plus agréable possible.
Ce travail est exigeant, parfois bouleversant. Mais aussi profondément libérateur. Je ne sais pas encore ce que j’en ferai à ce jour. Le rendrais-je un jour public ?
