Il y a des séances photo qui vous marquent plus que d’autres. Non pas à cause de la lumière ou de la technique, mais parce qu’elles vous révèlent quelque chose de l’humain, de l’amour, de la beauté au sens profond.

Un homme m’a contacté. Il voulait offrir à son épouse, pour ses 50 ans, une séance de portrait. Pas un portrait figé ni lisse, mais une vraie expérience. Une attention intime. Un geste d’amour.

Le jour venu, elle pousse la porte de mon studio. Elle est élégante, douce, mais aussi tendue, presque fébrile. Elle s’assied, puis me dit d’une voix troublée :

« Je compte sur vous pour tout faire… pour qu’on ne voie pas mon âge. Adoucissez la lumière. Lissez les traits. Cachez mes rides. »

Dans son regard, je lis qu’elle n’est pas à l’aise d’être là, qu’elle le fait pour faire plaisir à son mari, mais qu’elle aurait sans doute préféré un cadeau d’anniversaire qui soit moins impliquant ! Elle a peur. Cette peur que les photos révèlent une femme qu’elle n’assume pas d’être, avec ses 50 ans qu’elle vient tout juste d’avoir, peur de vieillir et que ces images le révèlent … trop. Peur de ne plus plaire. Peur — peut-être — d’être moins aimée. Comme si son reflet devenait un ennemi. Comme si ses cinquante ans étaient une frontière infranchissable entre désir et oubli.

Je lui ai promis d’effectuer mon travail avec justesse, de la sublimer sans la trahir. J’ai adouci la lumière, choisi mes angles avec soin, et oui, j’ai légèrement estompé quelques rides, sans jamais les faire disparaître. Je voulais qu’elle se voie belle, mais toujours elle-même.

À la remise des photographies, elle les regarde longuement. Elle me dit qu’elles sont belles, qu’elle est contente d’avoir vécu cette expérience, que ce sera un souvenir, un jour, précieux pour ses enfants, mais son regard se voile. « On voit encore trop mes rides… » me murmure-t-elle.

Quelques jours plus tard, son mari me rappelle. Il a vu les photos. Et ses mots m’ont bouleversé.

« Merci pour votre travail, je suis tellement content d’avoir ces photos de mon épouse … Mais si je peux me permettre une remarque : je ne vois pas assez les rides de ma femme. Elle a cinquante ans, et j’aime tellement ses rides. Elles racontent son histoire. Elle est tellement belle avec ses rides, c’est une femme mûre. Elles sont précieuses pour moi. Je suis tellement heureux de vieillir à ses côtés. »

Silence.

Il n’y avait rien à ajouter.

Il m’a ému.

Ce jour-là, j’ai compris — une fois de plus — que ce ne sont pas les images qui nous rendent beaux, mais l’amour dans lequel elles résonnent. Que le regard de l’autre, quand il est sincère, est le plus beau miroir. Et que parfois, ce que l’on veut cacher est précisément ce qui nous rend unique.

Cette séance restera pour moi comme un témoignage magnifique de ce que signifie aimer quelqu’un pour ce qu’il est. Non malgré les années, mais à travers elles.

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