Il y a une confusion tenace, presque automatique, entre nudité et sexualité. Comme si le simple fait de se montrer nu impliquait nécessairement une intention érotique, une provocation, un appel au désir. Cette confusion, profondément ancrée dans nos représentations collectives, est un obstacle majeur à toute tentative sincère de réconciliation avec le corps.

Se déshabiller, pour moi, n’a rien de sexuel. C’est un geste simplement authentique. Un dépouillement symbolique. Quitter ses vêtements, c’est quitter, pour un temps, le rôle social que l’on endosse chaque jour. C’est mettre de côté l’image que l’on donne, celle que l’on contrôle, que l’on ajuste sans cesse pour se croire à la hauteur des attentes extérieures. Se dénuder, c’est revenir à l’essentiel. C’est dire : « voilà ce que je suis, sans masque, sans artifice. »

Et dans cet état de présence brute, quelque chose d’infiniment puissant surgit. Sentir la chaleur du soleil sur sa peau, le souffle du vent sur son ventre, l’humidité d’un matin contre sa nuque nue… Ce sont des sensations simples, presque archaïques, mais elles réveillent une forme de joie profonde. Une joie d’exister. De respirer. D’être vivant.

Mais notre culture, depuis des siècles, a chargé le corps — et en particulier le corps nu — de mille représentations. Le corps féminin a été réduit à un objet de séduction, hypersexualisé, fragmenté par le regard masculin, utilisé pour vendre, pour plaire, pour dominer. C’est une violence insidieuse contre laquelle de nombreuses femmes se lèvent aujourd’hui avec force et justesse.

Le corps masculin, lui, a subi un autre type de violence : l’invisibilisation. On ne le montre pas, ou alors seulement sous des formes très codifiées : musclé, performant, viril, inatteignable. On ne lui accorde pas le droit à la vulnérabilité, à la douceur, à l’émotion. Et surtout pas à l’introspection. Tout homme qui entame une démarche personnelle, sensible, créative, est souvent perçu comme suspect. Comme s’il sortait de son rôle. Comme s’il perdait en légitimité. Comme si s’exposer — dans le sens noble du terme — était une faiblesse.

C’est un enfermement silencieux, mais redoutable.

À cela s’ajoute un tabou persistant : celui du corps comme sujet moral. Depuis trop longtemps, on a fait croire que le corps était « sale », qu’il fallait le cacher, le discipliner, le contrôler. Et à force de le cacher, on l’a rendu tabou. On l’a entouré de honte, de malaise, de fantasmes déformés. On l’a rendu désirable parce qu’il est interdit, et parfois, malheureusement, cette interdiction devient le terreau de désirs déviants.

Or le corps, en soi, n’est ni bon ni mauvais. Il est. Il est la maison de notre vie. Il est mémoire, langage, présence. Le voir, le montrer, le reconnaître comme tel — sans mise en scène, sans intention de séduire — c’est un acte de réhabilitation. C’est dire qu’il n’y a rien à cacher, rien à condamner. Que c’est dans le regard que naît le jugement, pas dans la nudité elle-même.

Il est temps de libérer le corps de ce carcan. De faire en sorte que la nudité puisse redevenir un espace d’humanité, de paix, de rencontre. Ni provocation, ni exhibition, mais un état d’être. Un retour à soi.

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