Les émotions : alliées de nos ancêtres, fardeau dans notre monde moderne ?

 

Lenteur de l’évolution, vitesse du monde moderne

 

Homo sapiens est apparu il y a environ 300 000 ans. Rapporté à l’échelle de la Terre (4,5 milliards d’années), c’est presque négligeable. Mais ce qui frappe encore plus, c’est que la quasi-totalité de notre existence en tant qu’espèce s’est déroulée dans la préhistoire, au cœur d’une nature sauvage, hostile, imprévisible.

En effet, l’Histoire écrite ne couvre que quelques millénaires depuis la Mésopotamie et l’Egypte des pharaons. Pire encore, la « révolution industrielle » … n’a que 2 siècles !
En d’autres termes, notre cerveau, façonné pour survivre dans les savanes et les forêts, n’a pas eu le temps de s’adapter aux fulgurances de nos transformations récentes : villes, confort, abondance alimentaire, hyper-connexion numérique.

Nous sommes ainsi des êtres peu adaptés à notre mode de vie contemporaine. Ce que notre biologie avait conçu comme une bénédiction pour survivre dans une nature hostile devient de nos jours un véritable handicap à notre adaptation à ce monde-ci.

Prenons l’exemple de la nourriture : nos ancêtres souffraient de famines récurrentes. Notre organisme a donc développé l’art de stocker les graisses et de préférer les aliments sucrés, synonymes d’énergie rapide. Aujourd’hui, ces mêmes réflexes nous mènent droit à l’obésité, au diabète, aux maladies cardiovasculaires. Ce qui sauvait hier, tue parfois aujourd’hui.

Et il en va de même pour nos émotions.


Les émotions : des outils ancestraux

Darwin fut l’un des premiers à le souligner : les émotions ne sont pas des caprices, mais des mécanismes de survie.

Le psychologue Paul Ekman a identifié six émotions dites universelles – peur, colère, surprise, tristesse, dégoût, joie – présentes chez tous les humains, quels que soient leur culture ou leur environnement. Elles sont des réflexes innés, gravés dans notre inconscient.

Mais dans notre société moderne, ces émotions, conçues pour répondre à des menaces vitales, s’allument désormais dans des contextes dérisoires : un mail qui tarde, un embouteillage, une notification de smartphone. Elles se déclenchent toujours aussi puissamment… mais pour des raisons qui n’ont plus rien de vital.


 La peur : l’alarme déréglée

Autrefois, la peur sauvait nos ancêtres d’un précipice, d’un prédateur ou d’un ennemi. Elle préparait le corps à fuir ou à se défendre. Aujourd’hui, elle s’active devant un examen scolaire, un rendez-vous professionnel, devant une série Netflix ou parfois même sans cause identifiable.

Une odeur, un bruit, un mot suffisent à rallumer l’alarme. Ce qui devait être une sentinelle est devenu un tyran intérieur. Crises d’angoisse, peurs irrationnelles : nous combattons maintenant des ombres, plus des tigres.


La colère : l’énergie mal canalisée

Dans la jungle, la colère était un feu protecteur. Elle donnait la force de repousser un rival, de défendre son territoire, d’imposer sa place dans le groupe.

Aujourd’hui ? Elle jaillit face à un retard, un mot mal interprété, une frustration au volant. Un mécanisme prévu pour le combat vital explose dans des situations sans enjeu réel. Résultat : disputes, violences, ruptures. La colère, mal adaptée, détruit plus qu’elle ne protège.


La surprise : la dopamine du numérique

Autrefois rare, la surprise nous sauvait la vie : un craquement dans les buissons pouvait annoncer un danger. Elle aiguisait l’attention, mobilisait l’entièreté des sens.

Aujourd’hui, nous sommes bombardés de stimulations imprévues : publicités, vidéos, alertes, notifications. Chaque vibration de smartphone déclenche ce réflexe archaïque, offrant une micro-dose de dopamine. Mais loin de nous protéger, cette avalanche de surprises nous épuise, nous disperse, nous rend dépendants.


La tristesse : de l’appel à l’isolement

La tristesse avait une fonction claire : signaler au groupe qu’un membre était vulnérable, en quête de soutien. Dans la nature, c’était un langage silencieux pour appeler à l’aide.

Dans nos sociétés modernes, centrées sur la performance et la réussite, elle est perçue comme une faiblesse. Celui qui exprime sa tristesse est souvent jugé, rejeté. L’émotion, au lieu de relier, isole. Quand le besoin d’appui reste sans réponse, la tristesse se transforme en désespoir, parfois jusqu’à la dépression.


Le dégoût : de l’instinct vital à la morale sociale

Le dégoût est l’un de nos réflexes les plus primaires : grimacer, recracher, rejeter ce qui pourrait nous empoisonner. Mais il a été réaffecté. Aujourd’hui, nous l’appliquons à des comportements sociaux : injustice, corruption, trahison. Le cerveau recycle une émotion biologique pour des menaces symboliques.


La joie : un ciment dévoyé

La joie n’était pas un simple plaisir : elle cimentait le groupe, renforçait les liens, célébrait la survie collective. Elle était l’énergie qui donnait envie de continuer, ensemble.

Aujourd’hui, la société de consommation s’en empare pour vendre du plaisir immédiat : un objet technologique ou une voiture de sport … Mais ces joies artificielles sont fugaces, et souvent suivies de vide. La vraie joie, elle, reste dans le partage et le lien qui relie les humains entre eux. Elle n’est pas un produit, mais une expérience vécue.


Alors, que faire de nos émotions ?

Nos émotions ne sont pas nos ennemies. Elles sont de vieilles alliées, devenues bien souvent maladroites dans un monde qui n’est plus celui des chasseurs-cueilleurs. Elles continuent de réagir comme si nous étions menacés de mort dans des occasions où notre survie est très loin d’être menacée.

Y être attentifs, avoir un regard conscient sur leur déploiement aide à les comprendre pour les apprivoiser. L’intelligence émotionnel est cette capacité de recul qui permet de mieux exploiter ses émotions, et de vivre des interactions sociales plus apaisées.

Apprendre à regarder nos émotions autrement, c’est réconcilier notre héritage ancestral avec notre monde moderne. C’est cesser de subir ce que la nature a forgé en nous, pour commencer à en faire des forces au service de notre vie intérieure et de nos relations.

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